Sous un autre ciel, d'autres étoiles.


Il avait neigé toute la nuit. Le vent dissipait les nuages gris, offrant un peu de répit à la terre gelée. Les premières lueurs de l’aube naissaient alors. Les rayons du soleil, encore un peu timides, projetaient sur les quelques nuages encore présents une couleur qui mêlait l’or et le rose. Le ciel était lui aussi rose à l’Est, mais encore d’un bleu sombre à l’Ouest, là où la nuit n’était pas encore vraiment partie. C’est beau, la nuit qui ne veut pas s’effacer, elle s’acharne, elle s’essouffle à en pâlir. Elle s’essouffle comme Olsönn dans le Sombre Bois, qui court à en perdre haleine, et qui se fiche bien du ciel puisqu’il ne le voit pas. Il s’arrêta un instant pour reprendre son souffle. Il regarda calmement les alentours, les oreilles dressées.

Il était parti tôt du camp ce matin, pour aller chasser. Il faisait très sombre, comme à l’accoutumé. Ici, la nuit était éternelle, reine toute-puissante que même le plus radieux des soleils ne pouvait détrôner. Quelques rares rayons lumineux parvenaient à percer l’épaisse voûte de verdure. Olsönn fixa un instant ses pattes-avant. Elles étaient couvertes de petites épines. Courir dans le Sombre Bois n’était pas chose aisée si l’on ne le connait pas. Les arbres étant si proches les uns des autres, il n’était pas rare de percuter de plein fouet l’un d’entre eux. Les nombreuses ronces pouvaient également jouer des tours.

Pourtant, après des lunes entières à s’y entrainer et à y chasser, la difficulté semblait minime aux loups de la meute Indrïl. Olsönn prenait un malin plaisir à parcourir ce bois dans lequel il avait en partie grandi.
Pour l’heure, il fallait remplir un peu le tas de gibier. L’hiver étant déjà là, les proies se faisaient plus rares. Le loup tricolore se remit en route en marchant. Perdu dans ses pensées, il avait un peu de mal à se concentrer. Il n’arrivait pas à déterminer si Envol des Corbeaux, l’Alpha de la meute, l’appréciait ou non. Il se comportait pourtant de la façon qu’il pensait être la plus respectueuse possible, tout en étant dévoué et loyal. Malgré tout la louve était distante. Avait-il fait quoique ce soit de mal ? Son désir de reconnaissance entrait en collision avec les réactions de la femelle.

Alors qu’il s’apprêtait à changer de direction dans l’espoir de trouver une proie, un léger bruissement lui parvint. D’instinct, il s’immobilisa et banda ses muscles, prêt à bondir. Seulement ce ne fut pas une proie qui surgit de l’ombre, mais une majestueuse louve au pelage noir. Une silhouette qui lui était familière, évidemment.

« Envol des Corbeaux ! » s’exclama-t-il aussitôt.

Bien, c’est l’occasion de lui en parler. Si j’ose …

« Bonjour Chagrin du Vent. Comment vas-tu ? » lui demanda la louve noire.

Chagrin du Vent. Tel était le nom alphal choisi pour lui il y a de ça 33 lunes. Cela le ferait toujours rire. Ce nom honore le ciel tel qu'il était lors de la mise bas d'Aelana, ou Cœur Sauvage de son nom alphal, alors en ce sens il ne serait jamais caduc. Pourtant, il y avait des passes où quant à son caractère, son nom lui allait plus ou moins bien.
De façon générale, Olsönn était loin d'être un loup mélancolique. Il était sociable, s'entendait bien avec tous les loups de sa meute. Il avait même été promu Bêta, une place de choix pour servir sa meute du mieux qu'il le pouvait, ce qui constituait sa plus grande fierté. Il n'y avait pas d'ombre au tableau si ce n'est qu'Olsönn lui même, lorsqu'il sombrait dans les abysses de ses sombres pensées. Elles n'avaient pas lieu d'être ces pensées, mais rien ne pouvait pourtant l'empêcher de ressasser sans cesse les mêmes questions. Etait-il assez loyal ? Etait-il un assez bon combattant ? Un assez bon chasseur ? Correspondait-il aux attentes de la meute et de Zara ? Autant de questions qui le torturaient de temps à autres, le confrontant à celui qu'il aimait le moins, lui-même.

En ce moment, ce qui le perturbait était de savoir si oui ou non Zara avait une bonne estime de lui.

L'Alpha justement se tenait devant lui, son pelage, plus noir que les ténèbres de la nuit, se détachant de la blancheur de l'épaisse couche de neige qui recouvrait le sol. Ses yeux cristallins le fixaient dans l'attente d'une réponse.

Ose ! Ose … Raté ! « Et bien … Oui tout va bien, je venais simplement chasser. » balbutia simplement le mâle tricolore, se maudissant intérieurement.

Il s'assit dans la neige, se détendit complètement. Après tout, qu'avait-il à perdre ? Sa place dans la hiérarchie ? Oui et non. En fait, il ne connaissait pas assez la femelle, il ne pouvait prédire sa réaction. Il songea d'ailleurs qu'il aurait aimé la connaître plus. Rien ne les empêchait d'être amis après tout.  Et puis poser une simple question ne changeait rien à ses qualités, n'est-ce pas ? Mais dans ce cas, si elle ne l'estimait pas, cela signifierait qu'il surestime ses réelles capacités. Enfin, si c'était le cas, je ne serais pas son bras droit. Ou alors elle s'est trompée sur mon compte et n'ose pas me le dire ... Mais alors je ne mérite pas ma place ?

Avant que Zara ai pu dire quoi que ce soit, il lui posa cette simple question : « Suis-je à ma place dans la meute ? »